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L’ENTRETIEN : Sylvain Tesson : « Je ne suis pas fait pour ce monde » - L'Union

dihyangbagus.blogspot.com

Vous racontez Rimbaud durant cet été à la radio (sur France Inter, du lundi au vendredi à 8 h 55). Vous êtes plus fasciné par l’écrivain ou par l’aventurier ?

Ma réponse est catégorique, c’est l’écrivain qui m’intéresse. L’aventurier Rimbaud n’est ni sympathique, ni enthousiasmant. Son aventure est une fuite et son voyage n’est qu’une douleur. Sa poudre d’escampette est une poudre aux yeux, une illusion permanente.

Vous partagez avec lui ce besoin « d’exil intérieur » ?

Oui. Verlaine l’appelait « l’homme aux semelles de vent » mais on pourrait l’appeler l’homme aux semelles de braises. C’est-à-dire que la route le démangeait. L’exil intérieur s’explique par le fait qu’il cherchait à fuir. À fuir sa mère, à fuir la société et à fuir probablement son propre génie.

Vous qui partez souvent, avez-vous le sentiment de fuir, au sens noble du terme ?

Vous avez raison de rajouter au sens noble… Tous les voyageurs répugnent à le dire parce que ce n’est pas très noble de dire qu’on fuit. Je suis très lucide sur moi-même et je n’ai aucune honte à dire que je fuis en voyageant. Je fuis l’ennui et je fuis l’obligation de me soumettre au diktat du nouvel ordre, de la nouvelle société. C’est le diktat à la machine, le diktat de l’administration, enfin tout ce qui nous emprisonne.

Vous n’êtes pas fait pour le monde dans lequel vous vivez, où est-ce le contraire ?

Il y a une manière plus ou moins orgueilleuse de dire les choses (rires) ! Je considère que je ne suis pas fait pour ce monde. Je suis totalement inadapté à un monde qui est gouverné par un ordre cybernétique, mercantile, sanitaire, sécuritaire et technique. Cela ne m’intéresse pas, donc pour moi, « c’est courage fuyons ! »

C’est une souffrance ou bien une jubilation, car vous avez le talent de faire autre chose ?

Ma réponse est très banale, mais on essaie toujours de corriger sa souffrance, sa douleur, sa nostalgie, sa tristesse ou sa mélancolie par un appétit de la vie. J’ai encore un appétit considérable qui masque ma douleur. J’ai encore plus faim qu’envie de pleurer.

Vous dites que « le plus court chemin qui vous mène à vous conduit d’abord au tour du monde ». L’une des conséquences de la pandémie semble justement de tendre vers une limitation des voyages lointains. Cela vous inspire quoi ?

C’est une phrase du philosophe allemand Hermann von Keyserling. Je ne ressens rien de tout le malheur qui s’est abattu sur le monde. La pandémie n’a pas tellement changé ma façon de d’être puisque j’ai bâti ma vie pour essayer de vivre selon les modalités du silence et de la solitude. C’est-à-dire tout ce que propose la mise en quarantaine de l’humanité. Cela dit, on est assez nombreux à se rendre compte que la société s’est mise à vivre comme nous. Évidemment, on vit plus ou moins bien la quarantaine selon les rapports que l’on entretient avec la solitude. Usant des précautions d’usage socio-économique, (sinon on ne peut plus rien dire !) j’ajoute naturellement, que lorsque l’on est bien disposé économiquement, c’est beaucoup plus agréable. Ceci étant dit, on peut ajouter que l’axe d’inégalité ne passe pas uniquement par les conditions socio-économiques mais également par le rapport que nous entretenons avec le temps et la vie intérieure.

Peut-on marcher dans sa tête ?

Je ne pense pas. Je suis un être profondément organique. Je crois au bénéfice de l’effort musculaire comme je crois aussi que l’inspiration est inscrite sur la route. Rimbaud, poète d’une grande sensibilité, a été un homme de la marche et du chemin, de la forêt et du bivouac. Il en est même mort en poussant son squelette jusqu’au bout. Tout cela pour dire que je ne crois pas que l’on puisse ne se nourrir que d’abstraction. Sauf si on est malade, mais dans ce cas on est Proust… Pour cela il faut être un génie intérieur tel que le siècle n’en offre qu’un ou deux spécimens !

Et écrire en marchant ?

Oui. J’ai besoin du contact profond avec la nature et de la thermodynamique de la marche : quand on fait un effort, les idées naissent. Je vous confirme que je suis un être condamné au réel. Je suis conduit par la perception de mes sens car je crois que l’aventure est d’abord une proposition sensorielle. Après, libre à nous, selon nos possibilités de transformer cet extraordinaire bouquet de sensations en une expérience spirituelle. Pour écrire, je pars toujours de ce que j’éprouve. Je ne suis pas un romancier, je ne suis pas non plus un être de concept et d’idéologie. Je n’ai aucune difficulté à savoir ce que je sens, mais j’en ai beaucoup à savoir ce que je pense, ce que je crois. Je préfère voir que croire et sentir que penser. En cela je suis donc un être superficiel.

Votre notoriété s’est considérablement amplifiée depuis le prix Renaudot. Cela change quoi pour vous ?

Strictement rien ! Ça ne change rien dans mon organisation de vie. Cela ne me fait en tout cas pas tourner la tête, car comme je me la suis fracturée, elle tourne moins… Je refais ce qui est vraiment constitutif de ma vie, à savoir l’escalade de parois rocheuses. C’est pour moi la plus belle façon de tourner le dos au monde. Bien sûr que la récompense est très agréable, mais je suis prémuni de la vanité car je passe ma vie à lire et donc à me rendre compte que je suis encore très loin de mériter la faveur qu’on m’accorde. Il faudrait pour cela un meilleur écrivain. Il y a un vrai malentendu sur des conditions que je ne comprends pas encore. Cette faveur éditoriale repose sur une épicerie (certains disent une économie) qui commande de sacrifier à sa petite scénographie, au carnaval de la représentation. Je suis lucide de tout cela et ma vie n’est pas du tout là.

Vous n’êtes pas un militant et ne cherchez pas à tout prix à entraîner les gens sur vos pas ?

Non, pas du tout. Je préfère la poésie aux manifestes. Je n’aime pas les idéologies, je n’aime pas les leçons, je n’aime pas les juges et je me méfie des prêtres. Mais je ne suis pas misanthrope et je réfute l’idée qu’on puisse considérer le genre humain comme une identité abstraite. Je n’ai jamais rencontré l’homme avec un grand H, l’autre avec un grand A. J’aime profondément quelques-uns, quelques visages et me méfie de toute généralisation. Je m’intéresse d’avantage aux parties qu’aux ensembles, à l’atome qu’aux masses.

Votre ami Jean-Christophe Ruffin aime à répéter que vous avez votre place à l’Académie française. Cela vous inspire quoi ?

Il est très aimable et j’espère qu’il n’est pas uniquement conduit par son sens de la compassion. Je n’ai jamais porté aucun habit, j’aime les armes, blanches ou à feu et je sais qu’il y a un très beau bâtiment du XVIIe siècle que je serais ravi de descendre en rappel. Mais j’aime les confréries davantage que les compagnies et je préfère les tablées d’amis aux institutions.




July 26, 2020 at 01:00PM
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Très agréable

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